L’empreinte carbone d’une chaussure de sport – Part 1 : L’analyse du cycle de vie

L'empreinte carbone d'une chaussure de sport - Part 1 : L'analyse du cycle de vie 1

Aujourd’hui, nous allons parler développement durable dans le monde de la chaussure et plus précisément de l’empreinte carbone ! C’est un sujet fort intéressant, un challenge qui me semble tout aussi compliqué que des thématiques comme la performance. On va essayer de mettre ici quelques chiffres sur l’impact carbone d’une chaussure et essayer de voir dans quelle direction vont les différentes marques. C’est la première partie d’une petite série où on balayera quelques chiffres, les pistes d’améliorations et les innovations dans ce domaine.

C’est assez difficile de mettre des chiffres précis sur un modèle, même si cela me semble important pour ne pas être subjectif. Je me suis donc essentiellement basé sur  un papier de Lynette Cheah appelé Manufacturing-focused emissions reductions in footwear production et quelques données que j’ai pu glané sur d’autres sites. Si vous pensez que l’industrie de la mode (au sens large) n’a pas d’impact, je vous invite à lire ce rapport : 2 100 millions de tonnes de CO2, 4% des émissions mondiales en 2018, le fashion c’est plus que les avions !

L’analyse du cycle de vie

Pour analyser l’impact d’un produit, il existe un outil qui permet d’avoir une vision globale des matériaux bruts au retrait du produit : c’est l’analyse du cycle de vie (ACV ou LCA en anglais pour Life Cycle Assesment). Tout cela est codifié dans la norme ISO 14040.

L’analyse faite par L. Cheah se base sur une ASICS Kayano 17 (oui ça date un peu, mais cela fait une référence).

Chaque phase a un impact différent sur l’empreinte carbone du produit final : 97% du total est réalisé par 2 phases : l’extraction du matériau et la fabrication avec respectivement 4kg (+/- 0,36kg) et 9,5kg (+/-2,7kg) pour un total de 14,2kg de CO2 pour une paire de chaussures.

empreinte carbone chaussure

Peu de marques publient des chiffres autour de l’empreinte carbone de leurs chaussures. Nike l’a fait en 2020 en publiant quelques grandeurs dont la Vaporfly avec un 16,6kgCO2 par paire, la Pegasus 10,3 et la Free FlyKnit avec un bon 5,4kgCO2eq mais sans afficher le détail de chaque contributeur. Allbirds, connu son implication sur le sujet, affiche que sa chaussure running a démarré à 9kgCO2eq avant de devenir neutre.

Après cette vue globale sur l’empreinte carbone de la chaussure, rentrons dans le détail. Il est nécessaire de faire cette analyse pour pouvoir ensuite mettre en place les améliorations pour réduire l’empreinte totale.

Les matériaux

Rentrer un peu dans le détail sur la partie matériaux permettra de comprendre certains choix faits par certaines marques dans la partie 2 et 3. Le upper est composé de polyester et polyuréthane, la midsole de copolymère oléfinique et la outsole en caoutchouc et l’emballage de cellulose : cela représente 75% en masse de la chaussure et 67% en émissions de CO2.

Il est intéressant de voir que le upper compte pour 41% de l’impact CO2 et les matériaux PE et PU pour 57%, seulement 6% pour la cellulose de l’emballage. Il est important de noter qu’un tiers des émissions part en déchets : une source importante de dépenses et d’émissions qui est invisible pour l’utilisateur final.

Si on regarde dans d’autres études, on trouve que l’émission du PU en 2010 est légèrement inférieur à 5kgCO2eq/kg, le PE aux environs de 2kgCO2eq/kg tout comme l’EVA (Non, je ne suis pas payé une licence à 3800€ à ecoinvent pour avoir les chiffres). On obtiendra donc pour une paire à 620g plutôt quelque chose compris entre de 3,1kgCO2eq et 1,24kgCO2eq sur un produit fini vs les 2,6kgCO2eq de l’étude de Cheah !
Pour info, la fibre de carbone est plutôt aux alentours de 15/20kgCO2eq/kg, on peut comprendre une partie des écarts de valeur sur la VaporFly. On peut estimer à environ 1kgCO2eq pour la plaque.

La fabrication

La fabrication comporte de nombreuses étapes de découpage, de collage, d’assemblage, de compression, d’injection, par différents procédés et donc forcément cela consomme de l’énergie électrique, mais aussi du charbon pour la semelle dans le but de chauffer (d’après l’étude de Cheah).

La majorité des usines sont en Chine ou Asie du Sud Est (Taiwan, Vietnam..). La Chine produit majoritairement son électricité via le charbon comme Taiwan, là où au Vietnam cela ne représente que 40% ce qui produit pas mal de CO2 et a donc un impact direct sur l’empreinte carbone de la chaussure.

Payskg CO2eq par kW (données de 2011)
Chine0,766
Vietnam0,432
Taiwan0,768
Cambodge0,809
Indonésie0,709
France0,074
Allemagne0,461

L’électricité représente 4,4kgCO2 eq par paire de chaussures (une hypothèse de 0,88kgCO2eq / kW a été prise dans l’étude de Cheah) et l’utilisation du charbon pour chauffer les équipements nécessaires pour faire les semelles affichent 5kgCO2 eq. Je n’ai pas évoqué une part ici qui est « l’avenir » des déchets. Dans le papier de Cheah, un faible de pourcentage est incinéré, donc pas d’émissions supplémentaires. Ils sont déposés dans des décharges. (Est-ce mieux pour la planète si ce n’est pas valorisé en carbone ?). Pour info, Les données utilisées pour le calcul datent d’une collecte effectué par Asics en aout 2010 et janvier 2011 chez ses fabricants.

Si l’on fouille dans les rapports de développement durable d’Asics on peut aussi lire qu’en 2019, les émissions de CO2 par paire de chaussures fabriquées chez leurs fournisseurs de niveau 1 de chaussures avaient extrêmement diminué notamment grâce à la baisse drastique de l’utilisation du charbon. L’empreinte carbone de la fabrication est passé de 2,45 à 1,77kgCO2eq par paire. Ces chiffres semblent extrêmement faibles comparés aux 9kg CO2eq affichés précédemment, les fournisseurs de rang 1 n’incluent peut être pas 100% des émissions d’une chaussure, mais on peut noter aussi qu’Asics ne produit pas qu’en Chine (et notamment au Vietnam), les chiffres de 2011 sont surement pessimistes et une suppression (ou meilleure utilisation) du charbon aura un fort impact sur la valeur. 

Le transport

Votre chaussure, même avant d’être produite, s’est déjà bien baladée ! De l’usine de matériaux brutes aux fabricants, du fabricant final aux pays de distributions, des distributeurs à chez vous mais aussi en comptant le transport des déchets: cela représente en moyenne 0,3kgCO2eq par paire d’après le papier de Cheah. Cela dépend bien sur de la distance du pays de fabrication à votre pays : comptez par exemple 0,76kgCO2eq en plus pour le Quebec !

C’est faible effectivement, cela représente 2% de l’empreinte carbone global de la chaussure mais avec beaucoup de variabilité car en plus du pays, les derniers kilomètres pour arriver chez vous peuvent beaucoup varier. 

Une hypothèse forte prise est la non-utilisation du transport aérien dans le transport des chaussures. Si on regarde le rapport Nike de 2021, on peut voir que la marque utilise ce moyen pour le fret de ses produits. Il annonce un rapport 42 entre l’aérien et le maritime, les chiffres de l’ADEME sont plus proche du double entre les 2 moyens de transport (si l’on tient compte de la trainée). Le transport ne devient plus si négligeable avec l’avion !

L’hypothèse prise est de 0,21kgCO2eq par tonne et par kilomètre pour un camion et 0,011kgCO2eq par tonne et par kilomètre pour les porte conteneurs, les dernières données de l’ADEME affiche plutôt 0,08kgCO2eq par tonne et par kilomètre pour le camion et 0,006kgCO2eq/ton/km pour les bateaux en provenance de l’Asie. Ces dernières estimations amènent une réduction de l’ordre 40% des émissions émises pour le transport.

HypothèsesDistance (km)kgCO2eq par km par tonneTotal (kgCO2eq)
Matériaux brutesTransport varié :
Valeur Cheah (2011)
0,03
Dechet de productionCamion :
Valeur Cheah (2011)
1000,210,01
Produit fini (1)Bateau :
Distance Moyenne Chine / France
Valeur ADEME
217400,0060,07
Produit fini (2)Camion :
Valeurs moyennes : 2 fois la France
Valeur ADEME
20000,080,08
Fin de vieCamion :
Distance déchèterie
Valeur ADEME
1000,080,00
TOTAL0,19

L’utilisation

On peut déjà imaginer ici que la phase d’utilisation va être proche de 0. La chaussure n’émet pas de CO2 par son utilisation. Un seul point est noté dans le papier de Cheah, c’est son entretien. Le lavage à la main va générer un traitement de l’eau usé : 90 litres sur l’ensemble de la vie de la chaussure soit 0,03kgCO2eq.

Cela dépendre beaucoup des habitudes de chacun. Je suis plutôt brossage. On reparlera dans la partie 2 ou 3 mais l’entretien est un point à ne pas négliger pour la durabilité.

Fin de vie

Les émissions associées au traitement de fin de vie des chaussures de course sont également faibles. C’est ce que révèle l’étude. Cela va dépendre aussi des pratiques des gens et des pays. Aux USA, 80% finissent dans une décharge et le reste est incinéré. Ces 2 options ne sont pas optimales : enfouir le plastique que l’on va retrouver un peu partout ou le transformer en CO2.. 

Les émissions en fin de vie sont estimées de 0,37 kg d’équivalent CO2, soit seulement 3 % de l’impact total du cycle de vie.

Ce qu’il peut manquer

L’analyse du cycle de vie, bien qu’étant un processus normalisé, n’inclut pas quelques éléments qui me semble tout de même intéressants de prendre en compte dans l’empreinte carbone d’un produit. Si on regarde le bilan des gaz à effet de serre, couvert par la norme ISO 14 064-1

Cela découpe les émissions en 3 scopes :

  • Scope 1: les émissions directes liées à la fabrication (consommation de pétrole, de carburant) 
  • Scope 2: les émissions indirectes liées à l’achat d’électricité ou de vapeur, on peut trouver ici d’autres sites que les sites de productions qui ne sont pas comptabilisés dans l’ACV : HQ, site de conceptions, magasins..
  • Scope 3: ici on regroupe toutes les autres émissions indirectes nécessaires pour réaliser le produit, certaines thématiques ont déjà été traitées dans l’analyse du cycle de vie comme l’extraction des matières premières ou le transport, mais on peut trouver d’autres thématiques : les déplacements pro.

Les éléments de ce bilan qui ne sont pas directement liées à la fabrication de la chaussure, prenons par exemple les voyages pros ou l’électricité des HQ ou sites de design pourrait être redistribué en fonction du chiffre d’affaires de chaque élément et du nombre de paires produites..  

On pourrait inclure d’autres éléments qui risquent d’avoir de plus en plus de poids : les émissions de carbone réalisées par l’empreinte numérique des marques : stockage des mails, site web, publications sur les différents réseaux sociaux.. 

Conclusion

En utilisant l’approche d’analyse du cycle de vie, Cheah a estimé que l’empreinte carbone d’une paire typique de chaussures de course en matériaux synthétiques est de 14,2 ± 2,7 kg d’équivalent CO2 en 2011. En 2020, Nike a affiché dans son rapport annuel une plage de 5,4 et 16,6kgCO2eq en fonction du modèle.

En faisant l’exercice de mettre à jour l’estimation de Cheah, à partir des différentes données de l’ADEME ou d’Asics, et la réduction du poids de la chaussure (50 grammes par paire), on obtient entre 12kgCO2eq et 5,1kgCO2eq. La majeure partie des écarts provient des valeurs liées à la production : 1,77kgCO2eq dans le rapport Asics ou -27% (donnée Asics) sur la base du rapport de Cheah. A contrario, les valeurs disponibles sur le site de l’ADEME affichent une chaussure de sport « moyenne » à 20kgCO2eq, avec une part importante du transport !

L'empreinte carbone d'une chaussure de sport - Part 1 : L'analyse du cycle de vie 2
Comparaison des estimations d’émissions mises à jour

Je n’ai pas intégré l’impact des plaques carbones dans la chaussure qui, comme on a pu le voir précédent, complexifie la chaussure.

Et 10kgCO2eq c’est quoi ? C’est 100km avec votre voiture (bon 50km si vous avez une Porsche), 5kg de pâte, 2l de bières. Que peut-on s’attendre d’une chaussure ? Je pense qu’il est difficile de trouver le « bon » chiffre. Car déjà il semble compliqué de le mesurer précisément, ce qui me semble important est de mettre en place des actions pour le réduire de façon durable ! De plus l’empreinte carbone n’est qu’une part de l’impact de la fabrication des chaussures : eau, eutrophisation, acidification de l’atmosphère..

On attaquera la partie amélioration/innovation dans un prochain article !

5 comments

  1. Wha c’ets super mega interessant ! Je me posait des question est cet article confirme que c’est bine les matériaux et la fabrication qui comptent … avec de sacrée variabilité et incertitudes !
    C’est bien d ‘arrêter de croire que c’est le porte conteneur qui pollue 😉
    Et compter en biere/patekmvoiture cdonne aussi une emilleure appréciation de l’enjeu.
    Une paire par an est loin d’etre un drame en comparaison de nos modes de vie !

    1. Ce qui compte en premier lieu c’est la durabilité du produit (je te conseille de lire la suite que j’ai fait sur cet article)
      Avec des produits qui se vendent à l’international, c’est compliqué de réduire la part du transport, à moins d’avoir une multitude de site de production locaux (et biensur il faut arrêter de transport en avion). Les porte conteneurs ont « l’avantage » de pouvoir transporter énormemement de marchandise d’un coup sur une grande distance (sauf quand il est bloqué quelque part)

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