De l’aérodynamique à la course à pied : CFD d’un coureur

De l'aérodynamique à la course à pied : CFD d'un coureur 1

Au programme : racontage de life, CFD et course à pied

Moment comptage de life 

En avril 2020, en plein confinement et chômage partiel, je me suis lancé dans une activité qui avait pour but de modéliser l’impact de la formation utilisée par Eliud Kipchoge durant le Ineos 1:59 challenge pour réduire en miette la marque de 2h sur marathon. Si vous vous souvenez bien, 7 pacers étaient disposés autour de lui pour l’abriter du vent, mais aussi réduire les effets aérodynamiques (pression notamment du à sa vitesse) autour de lui pour lui faire économiser quelques forces.

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La formation utilisée lors du projet Ineos 1:59
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Mon petit domaine de calcul

J’avais trouvé un modèle 3D d’un coureur, je l’avais simplifié un peu avec un outil CAD gratuit, maillé aussi avec logiciel libre (mon ordinateur commençant déjà à souffrir à cette étape de maillage, car il faut une grille raffinée autour du coureur de l’ordre du millimètre) puis lancer le calcul CFD en vain avec OpenFoam. J’avais tenté une piste simplifiée en remplaçant les coureurs par des cylindres, mais le résultat n’était pas satisfaisant. Au bout d’un mois, et quelques nuits à faire souffrir mon ordinateur à mailler, j’avais abandonné. Ça aurait été beaucoup plus simple avec les moyens du boulot..

J’ai tenté une autre piste : discuter directement avec Bert Blocken de l’université d’Eindhoven qui avait justement bossé pour le projet en modélisant par calcul CFD et dans leur wind tunnel la formation en V utilisée. Mais il n’avait pas encore l’approbation pour publier en article, on avait toutefois un peu discuté des effets qui sont similaires à ce que l’on peut rencontrer dans le cyclisme.

L’étude CFD par les « pros »

Et en 2021, aussi surprenant que cela puisse paraitre, c’est adidas et KTM E-TECHNOLOGIES (oui KTM, les motos, vélos..) qui sortent un papier sur le sujet : Aerodynamic effects and performance improvements of running in drafting formations ! Intéressant ! 

Dans leur étude, ils ont choisi un modèle féminin de 1m65, représentant la moyenne de 59 athlètes scannés pour le modéliser dans Fluent (un des codes CFD commercial les plus utilisés). 

La référence : l’athlète seul

De l'aérodynamique à la course à pied : CFD d'un coureur 6KTM a d’abord calculé un large panel de vitesse de 15 à 36km/h : le jogging des (im)mortels ! Je vais juste m’intéresser aux vitesses entre 15 et 21km/h qui sont les plus crédibles pour un marathon. Pour ces vitesses, la puissance « perdue » aérodynamiquement représente entre 2,6% et 4,5% de la puissance métabolique totale. Vous allez me dire que ce n’est rien, mais c’est ce qu’il faudrait un athlète pour passer en compétition la barre des 2h sur le marathon ! Basiquement, avoir une foulée plus économique permet à un athlète de courir à une vitesse proportionnellement plus rapide pour un même coût énergétique et aujourd’hui il manque 1,35% au chrono de 2 heures 1 minute 39 secondes de Kipchoge.  à 21km/h, cette force aérodynamique représente 6,52N, principalement répartie sur le torse et les jambes.
A mon allure (3h10 au marathon) et mon poids (67kg) , on est plutôt sur du 1,7% de puissance perdue soit environ 3 minutes et 16 secondes.

Les formations

Ensuite, 4 formations ont ensuite fait l’objet de CFD : en ligne à 2,  à 3, en V et en triangle.

La formation en ligne est la plus classique et offre une bonne réduction : -70% à 1,2m derrière le coureur de tête, -60% à 1,5m -43% à 3m . Cette formation a l’avantage de couvrir les parties génératrices de la majorité de la force aérodynamique : le torse et les jambes.

Concernant les autres formations, le V, comme le triangle ne sont pas efficaces pour couvrir le torse et les jambes. Cette première formation laisse fuiter de l’air entre les 2 coureurs tandis que la seconde diminue la pression dans le dos ce qui la rend moins avantageuse (cela représente une aspiration vers l’arrière). Ces formations, bien que moins efficaces, amènent quand même respectivement un gain d’économie de course de 2% et 1,6%.

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Les différentes configurations

La meilleure des 4 est la ligne de 3 pour 2 raisons : la surface frontale est bien couverte et le dernier coureur crée une légère « surpression » devant lui qui vient limiter la succion le coureur. Cela amène une réduction de la force de 76%, soit un gain d’économie de course de 3,5% ! 

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En ligne (bleu pression faible / rouge plus forte )

Si on revient à un niveau « terrestre », pour mon marathon de 3h10, le gain serait de 2 minutes et 39 secondes ! 

Conclusion

Courez toujours derrière vos copains ! (surtout à 21km/h). Rien de neuf dit comme cela, mais il est intéressant de voir les chiffres derrière ces configurations. Les résultats sont assez proches de ceux que l’on peut voir dans le cyclisme mis à part que la dernière position n’est pas forcément la dernière quand on est 3 (vitesse et distance différentes). Dommage que la team KTM-adidas ne soit pas allé plus loin avec notamment la formation utilisée par Nike. On peut toutefois comprendre que les 2 coureurs derrières Eliud avaient pour objectif de créer une « surpression » devant lui et le V compact devant lui de le mettre dans une bulle qui le protège « totalement » de l’effort aérodynamique. 
adidas préparerait-il un coup pour battre le record de Kipchoge ?

 

Kudos Haris pour cette découverte

2 comments

  1. Salut. Super interessant l’approche.
    Ça permet aussi de comprendre comment on peut freiner un adversaire ou en tout cas réduire le gain :).
    Je serais curieux de comprendre si à plus faible vitesse le gain reste significatif ou la formation à choisir en fonction du vent.

    1. Salut Sylvain,
      La puissance aéro est plutôt simple à estimer et sa part décroit assez vite (vitesse au cube) donc cette perte devient en relative plus faible quand la vitesse décroit et donc la part à gagner devient moins importante aussi.
      Il faudrait surement réduire les distances entre coureurs pour obtenir le même niveau de gain en fonction de la vitesse.
      Le vent est un élément « limitant » de cette étude (et de la plupart des études CFD sur l’aérodynamique dans le sport) et peu rapidement faire changer les gains.
      Pour en savoir plus sur l’aérodynamique dans le sport, je te conseille de regarder les recherches de Bert Blocken de l’université d’Eindhoven qui s’est surtout penché sur le cyclisme (et la ventilation des pièces en ces temps de Covid-19)

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